|   
                   http://www.webnetmuseum.org/html/fr/expo_retr_fredforest/actions/27_fr.htm#text 
                  13. 
                  1983- 
                    LA CONFERENCE DE BABEL,  
                  Entretien, 
                    Pierre Restany/ Fred Forest, publié dans la revue" 
                    Artiste" en 1983. 
                  PIERRE RESTANY-- Dans le courant 
                    du mois de janvier, tu as réalisé à l'Espace 
                    Alternatif Créatis avec la collaboration d'un hebdomadaire 
                    " Tel" ( Temps, Economie, Littérature) et une radio 
                    libre "Ici et maintenant" ce que je considère comme 
                    une des plus efficaces et prestigieuses réussites sur 
                    le plan visuel et audiovisuel, d'une installation vidéo. 
                    De ce point de vue, il s'agit d'un parfait objet esthétique. 
                    Le titre était significatif : la conférence 
                    de Babel. Il s'agissait d'un certain nombre de moniteurs réglés 
                    chacun sur le discours politique d'un homme d'Etat contemporain, 
                    les plus importants étaient présents. De la 
                    Russie aux Etats-Unis d'Amérique en passant par les 
                    différents pays de l'Europe occidentale avec, bien 
                    entendu, la France. La disposition des lieux compte beaucoup 
                    dans cet espace particulier qu'est la galerie Créatis. 
                    J'ai été frappé par la répartition 
                    scénique que tu avais choisie pour distribuer les différents 
                    éléments de ton installation. 
                  J'ai été frappé 
                    comme on peut quelquefois le dire lorsqu'on parle dans le 
                    théâtre classique de l'unité de lieu et 
                    de l'unité de temps. Pour l'unité d'action, 
                    je n'ai pas eu la chance d'assister à la série 
                    de la manifestation qui s'est déroulée selon 
                    un calendrier très nourri. Unité de lieu, unité 
                    de temps : tout cela était rendu par l'extrême 
                    cohérence des discours diffusés; évoquant 
                    directement la continuité du discours politique par 
                    le ton de la voix, les rythmes, les mimiques, les gestes. 
                    Les personnalités présentées, Mme Thatcher, 
                    le Chancelier Schmidt, François Mitterrand ou Reagan, 
                    s'accordent sur une sorte de schéma mélodique 
                    commun. Ce fût pour moi une révélation 
                    : en juxtaposant ainsi différentes bandes d'enregistrements 
                    de discours, on obtient un effet de convergence très 
                    précis. En plus pour mettre l'emphase sur le côté-amalgame 
                    du discours politique tu as réalisé une série 
                    de bocaux contenant des nouilles ( des pâtes alphabets). 
                    Ces nouilles que dans l'enfance nous avons toujours mangées 
                    avec plus de plaisir que les autres. Des lettres vermicelles, 
                    nouilles alphabétiques que l'on dispose souvent sur 
                    le bord de l'assiette à soupe pour créer des 
                    mots éphémères…Cette accumulation de 
                    bocaux, l'épicerie du discours, apparaissait comme 
                    le pendant ironique et symbolique des vidéos présentées, 
                    chaque bocal référencé comportant en 
                    plus de sa dose de lettres un objet significatif évoquant 
                    la personnalité de son auteur, voire ses accidents 
                    de carrière…Voilà pour la mise en scène 
                    du décor, la définition de l'installation et 
                    de l'espace. Enfin, dans cet espace, tu as aussi aménagé 
                    le temps, en organisant un programme de séances et 
                    d'interventions de personnalités politiques, qui s'est 
                    échelonné sur toute la durée de la manifestation. 
                  FRED FOREST-- Je voudrais 
                    compléter ta description par quelques éléments 
                    d'information qui sont pour moi de toute première importance 
                    au niveau de mes intentions. Comme dans un iceberg, c'est 
                    la partie non visible qui est la plus importante. Dans cette 
                    installation, il faut mentionner en priorité, le dispositif 
                    de communication que j'ai mis en place en faisant appel à 
                    une radio hertzienne (Ici et Maintenant) émettant en 
                    direct de l'Espace Créatis et à des journalistes 
                    de la presse spécialisés en politique pour pourvoir 
                    en matière première mon action et traiter cette 
                    matière selon les règles professionnelles du 
                    genre. Mon propos visant à exposer le discours politique 
                    et en pratiquer une analyse en le mettant en représentation 
                    visuelle et sonore dans des conditions particulières. 
                    Pour faire ma démonstration, je disposais d'un environnement 
                    vidéo, quelque chose devenu classique, désormais, 
                    dans les concepts de l'art et d'objets matériels symboliques, 
                    qui le sont quant à eux depuis beaucoup plus longtemps. 
                    Ce qui est plus nouveau, me semble-t-il, c'est maintenant 
                    la volonté, délibérée, d'intégrer 
                    à ces concepts de l'art, intrinsèquement parler, 
                    la notion fonctionnelle de dispositif de communication. Comme 
                    pour notre iceberg, même si il n'était pas apparent, 
                    c'est le dispositif de communication, en tant que tel, qui 
                    était la partie la plus importante de mon installation. 
                    Essentiel je dirai. Dispositif actif dont la fonction était 
                    double : 
                  
                    - Premièrement, faire 
                      du lieu d'exposition un lieu de production de parole politique 
                      par ceux-là mêmes qui en sont les acteurs et 
                      producteurs dans la vie réelle et sociale.
 
                    - Secondement, assurer tout 
                      au long de l'exposition une fonction permanente d'échanges 
                      d'informations entre le dedans (lieu de l'art) et le dehors 
                      (lieu de la vie) avec en temps réel l'instantané 
                      du direct de la radio (avec la participation téléphonique 
                      des auditeurs) et le différé, par les comptes-rendus 
                      réguliers, pour chaque séance, de la presse 
                      écrite. Mon intention étant de dilater l'espace 
                      physique du lieu culturel, par une extension dans l'espace 
                      de l'information. Sorte d'éclatement du media à 
                      un espace indéterminé et global, pratique 
                      qui n'est guère utilisée généralement 
                      par les artistes, qui s'en tiennent à un espace physique 
                      donné, celui de la galerie ou du musée.
 
                   
                   
                  PIERRE RESTANY- En fait le 
                    calendrier auquel je faisais allusion tout à l'heure 
                    a été tout un programme de production de discours 
                    politiques. Tu as raison d'insister sur ce point. Tu as donc 
                    organisé sur place une cellule opérationnelle 
                    de production, avec une tribune, les appareils techniques 
                    d'enregistrement et de diffusion, une radio émettant 
                    en direct, un équipement vidéo professionnel, 
                    une équipe de journalistes. Ces débats ont touché 
                    aux horizons les plus divers de la politique puisque entre 
                    autres, des gens aussi différents que Brice Lalonde 
                    (ministrable), Lionel Stoléru (Président de 
                    l'Assemblée Nationale), Jean-Philippe Lecat (ancien 
                    ministre de la culture), Huguette Bouchardeau (ministre de 
                    l'environnement), Raymond Barre (ancien Premier ministre) 
                    y ont participé. 
                  FRED FOREST- Je suis à 
                    la fois ravi et étonné que tous ces personnalités 
                    aient accepté de se prêter au jeu. Il fallait 
                    une certaine dose d'humour, ou plutôt d'inconscience, 
                    pour venir ainsi prendre place sur le podium, sous le titre 
                    générique de Conférence de Babel… Je 
                    pencherai plutôt pour l'inconscience et plus certainement, 
                    encore, pour une sorte d'aveuglément, dû à 
                    la séduction irrésistible du média. Il 
                    faut dire que chaque prestation donnait lieu à un retentissement 
                    médiatique qui ne les laissait pas indifférents. 
                    Comme artiste, je n'avais personnellement aucun statut social, 
                    ni aucun élément d'argumentation ou d'échange, 
                    qui m'aurait laissé espérer qu'ils acceptent 
                    mon invitation. Le mérite en revient à la rédaction 
                    de l'hebdomadaire T.E.L (Temps, Economie, Littérature) 
                    dont la fonction que j'avais prévue dans mon dispositif 
                    était précisément celle de les convaincre 
                    ! De les convaincre en leur proposant des interviews sur place. 
                    En période électorale, toute personnalité 
                    politique est sensible à la perspective de bénéficier 
                    d'une double page sur un hebdomadaire de prestige, doublée 
                    d'une émission de radio à une heure de forte 
                    écoute. En toute évaluation des risques courus, 
                    ce fût considéré de leur part comme une 
                    occasion qui ne se rate pas ! Sauf en ce qui concerne Michel 
                    Poniatowski (ancien ministre lui aussi…) qui en vieux routier 
                    de la politique s'est ravisé après avoir donné 
                    un premier accord. De telles péripéties sont 
                    le pain quotidien de l'art sociologique. 
                  Il faut enfin souligner encore, 
                    qu'en dehors du temps même de la présence de 
                    ces acteurs sur place, que le podium, les fauteuils des invités, 
                    les micros nécessaires à leurs prestations radiophoniques, 
                    constituaient dans mon installation autant d'éléments 
                    de décor, participants à sa mise en scène 
                    - dont ils étaient partie intégrante. Cela, 
                    au même titre que les moniteurs de Babel, la table monumentale 
                    de conférence et les bocaux de discours en pâtes 
                    alphabets. Tous ces éléments suggérant 
                    la présence des acteurs politiques, mêmes en 
                    dehors de la programmation des séances, aux heures 
                    d'ouverture de la galerie où ils étaient absents. 
                  PIERRE RESTANY- Je crois qu'il 
                    faut revenir sur ce dispositif de communication que tu considères 
                    comme le noyau essentiel et fondamental de l'action artistique 
                    réalisée à Créatis. Peux-tu expliquer 
                    d'une manière très pratique comment se déroulaient 
                    les interventions des homme politiques ? 
                  FRED FOREST-- Chaque invité 
                    était installé sur la tribune en face des journalistes, 
                    puis le rituel démarrait. Je rappelle que cette tribune 
                    constituait l'un des trois pôles d'intérêt 
                    dans la distribution de l'espace occupé dans la galerie. 
                    Les deux autres étant l'environnement électronique 
                    Babel, les moniteurs vidéo autour de la table monumentale, 
                    dont chacun d'eux était dédié à 
                    un chef d'Etat, et enfin les rangées de bocaux, alignés 
                    sur des étagères en vis-à-vis. Lors des 
                    séances, je me plaçais volontairement en dehors 
                    de l'espace réservé à l'interview des 
                    politiques par les journalistes. Ma position étant 
                    celle d'un observateur artistique 
                  qui est en charge du dispositif 
                    global qu'il a mis en place et s'assure de son bon fonctionnement. 
                    Mon intervention consistant dans ces moments-là-là, 
                    à reprendre en vidéo, caméra au poing 
                    l'image (l'icône) de l'invité politique, pour 
                    la renvoyer en direct à l'autre bout de la salle au 
                    beau milieu de la conférence de Babel. Une conférence, 
                    où tous les chefs d'Etats présents sur les écrans, 
                    dans la confusion la plus totale, parlaient tous ensemble 
                    dans des langues différentes. Effectuant ainsi au niveau 
                    spatial des lieux un transfert croisé d'informations 
                    et un détournement de sens. Effet de bascule, produisant 
                    du sens sur du sens, avec une visée réflexive, 
                    critique et parodique. 
                  PIERRE RESTANY- 
                  Comment se générait, 
                    alors, et par quels mécanismes des médias, la 
                    production de parole politique ? 
                  FRED FOREST- 
                  Cela m'a conduit à donner 
                    quelques précisions descriptives supplémentaires. 
                    La personnalité politique, invitée, occupe la 
                    place centrale sur le podium. Elle est entourée de 
                    trois journalistes et d'universitaires théoriciens 
                    de la communication.  
                  J'ai eu soin de préciser 
                    à toutes les personnes présentes-- et c'est 
                    l'objet même de mon installation - que personnellement, 
                    je ne suis intéressé que par la "musique" du 
                    discours politique. Ce que j'en attends ce n'est pas tant 
                    son approche au niveau des contenus idéologiques qu'un 
                    commentaire sur ses aspects phonétiques purement formels, 
                    son rythme, son débit, ses clichés répétitifs, 
                    ses accélérations et ses ralentissements, sa 
                    ligne mélodique… Il faut remarquer que tous les participants, 
                    sans aucune exception, c'était prévisible, oublieront 
                    bien vite ces recommandations, pour retomber, aussitôt, 
                    dans le commentaire et le débat habituel. À 
                    la tribune défileront des personnalités politiques, 
                    mais aussi un aréopage de sociologues, des philosophes, 
                    de spécialistes du marketing, des linguistes, des critiques 
                    littéraires conviés pour mettre les premiers 
                    sur le gril. Interviendront ainsi Philippe Sollers, Jacques 
                    Séguéla, Jean-Marie Benoist, Bernard Krieff, 
                    Poirot-Delpech et bien d'autres encore. Ce qui sans conteste 
                    était original, dans cette action artistique, c'était 
                    bien le dispositif de communication conçu pour la circonstance. 
                    Un dispositif qui pouvait aussi fonctionner, ponctuellement, 
                    d'une autre façon, en se calant sur des émissions 
                    programmées dans la semaine sur différentes 
                    radios professionnelles et où intervenaient des personnalités 
                    politiques, notamment sur la plus célèbre d'entre 
                    , le Club de la presse d'Europe N°1 Dispositif qui consistait, 
                    comme aimait à le répéter Philippe Simonnot 
                    à l'ouverture de chaque séance, pour la première 
                    fois au monde sans doute, à faire : du direct sur du 
                    direct…Commentaire critique, en instantané, rediffusé 
                    immédiatement par la radio, Ici et maintenant, à 
                    partir de mon installation qui utilisait et détournait, 
                    ainsi, l'émission d'Europe N°1 Un exemple comme illustration 
                    : le dimanche 23 janvier Georges Marchais, premier secrétaire 
                    du Parti Communiste Français est l'invité du 
                    Club de la Presse sur Europe N°1. Au même moment à 
                    l'Espace Créatis, dans le cadre de la Conférence 
                    de Babel, Lionel Stoléru, Secrétaire d'Etat 
                    du gouvernement Giscard d'Estaing, s'apprête à 
                    réagir sur ses propos. L'émission d'Ici et maintenant 
                    devient une sorte de mixe média, où le réalisateur 
                    incorpore en direct dans l'émission d'Europe N°1, qu'il 
                    relaye… les commentaires de notre invité. Il réinjecte 
                    dans le Marchais et lui superpose les commentaires du Stoléru 
                    ! 
                  Mise en place du média 
                    sur le média. Un canal d'expression parallèle 
                    qui fonctionne en quelque sorte comme par effet-miroir déformé. 
                    L'opération s'est déroulée à plusieurs 
                    reprises, mettant tour à tour à cheval Brice 
                    Lalonde sur Valéry Giscard d'Estaing et Huguette Bouchardeau 
                    sur Jacques Chirac !  
                  Quand les critiques d'art des 
                    années 2000 se retourneront sur ce qui se faisait à 
                    l'époque à Paris, voilà ce qu'ils retiendront, 
                    après avoir oublié tout le reste...Plaisanterie 
                    mise à part, je suis convaincu que l'art va s'affirmer 
                    dans les années qui viennent pour se cristalliser essentiellement 
                    sur les problèmes de la communication. 
                  PIERRE RESTANY-- Tout ce que 
                    tu as expliqué là est intéressant et 
                    significatif en tant que dévoilement de la structure 
                    du discours. Mais je crois savoir que ton "activation" de 
                    la situation t'a amené à une situation limite 
                    par rapport au dispositif que tu avais mis en place et aux 
                    médias qui en assuraient la gestion. Que s'est-il passé 
                    au juste ? 
                  FRED FOREST- La crise s'est 
                    pleinement révélée lors de la dernière 
                    séance, le 30 janvier. Celle où Huguette Bouchardeau 
                    devait effectuer le commentaire critique sur la prestation 
                    de Chirac à Europe N°1. Un conflit latent couvait déjà 
                    depuis plusieurs jours avec les journalistes de TEL et ceux 
                    de la radio Ici et maintenant. Il tenait au fait que ces derniers, 
                    d'une séance à l'autre, grisés sans doute 
                    par le succès et son retentissement médiatique, 
                    s'étaient peu à peu appropriés du concept 
                    et des lieux, au point de revendiquer la paternité 
                    du dispositif, alors qu'ils n'en étaient que des opérateurs. 
                    Reproduisant une sorte de Club de la presse bis, avec toutes 
                    ses conventions et, surtout, sans plus aucune distance, ni 
                    critique, ni parodique, vis-à-vis du media. Ce qui 
                    ne présentait plus, dès lors, aucune sorte d'intérêt, 
                    bien sûr, par rapport au sens que je donnais à 
                    mon action. Situation intéressante, néanmoins, 
                    par un développement qui mettait en évidence 
                    les problèmes de pouvoir et de leur exacerbation qui 
                    se posent, chaque fois que l'appropriation et l'utilisation 
                    de s média sont en jeu. 
                  Un rapport de force s'est instauré 
                    entre les journalistes détenteurs des médias 
                    et l'artiste. Dans un premier temps, ils m'ont menacé 
                    d'annuler la séance déjà annoncée 
                    en décommandant, purement et simplement, son invité. 
                    Ils en avaient les moyens, puisque c'étaient eux qui 
                    disposaient professionnellement de tous les fils avec le monde 
                    politique pour les faire venir. Devant ma fermeté, 
                    d'un commun accord, ils ont décidé de me censurer 
                    en me privant de micro. Ce qui était un comble ! Je 
                    me suis donc vu contraint, 24 heures avant la séance 
                    en question, devoir trouver une parade et improviser une radio 
                    "pirate" qui piraterait la radio "pirate" (Ici et maintenant) 
                    que j'avais moi-même invitée initialement… 
                  Étant le seul concepteur 
                    et réalisateur du projet global c'était moi, 
                    aussi, le propriétaire de la ligne téléphonique 
                    spécialisée que j'avais commandé pour 
                    faire transiter le signal radio vers les émetteurs, 
                    situés dans un autre quartier de Paris. Je me suis 
                    donc branché, sans attirer l'attention sur cette ligne 
                    téléphonique qui passait par les sous-sols avec 
                    deux pinces crocodiles, reliées à un magnétophone, 
                    sur lequel j'avais enregistré un jingle et un message 
                    tournant en boucle. Au milieu du débat, dont j'avais 
                    été exclus, j'ai envoyé soudain, à 
                    la surprise générale le message pirate, qui 
                    fit l'effet d'une bombe, car personne ne comprenait d'où 
                    il émanait ? Au point que l'animateur d'Ici et maintenant 
                    se mit à me vilipender, accusant une radio pirate surpuissante 
                    d'être de mèche avec moi, alors que c'était 
                    lui-même qui transmettait mon signal sur sa propre antenne… 
                    A partir de ce moment-là-là la confusion fût 
                    la plus totale dans la salle. Un vrai régal. Des invectives 
                    fusaient de toutes parts, entre les partisans de la radio 
                    du "bla-bla-bla" et ceux de la presse dite "sérieuse", 
                    quelques peu vexés. Le public visiblement amusé, 
                    participant activement à ce joyeux vacarme. Le débat 
                    était interrompu. Bouchardeau, la ministre, quittait 
                    précipitamment les lieux. Les nouilles volaient dans 
                    les airs. Olivier Poivre d'Arvor journaliste à TEL 
                    tentait sournoisement de me donner des coup de pieds dans 
                    les tibias. La Conférence de Babel battait son plein. 
                    La fête était réussie et se terminait 
                    sur une symbolique et une logique en parfaite adéquation 
                    avec son propos. 
                  À travers le télescopage 
                    des mots dans les déclarations politiques de toutes 
                    sortes, à travers les discours politiques qui se croisent 
                    et s'entrecroisent, le sens se brouille dans nos têtes, 
                    mais les sons, tout au long, produisent une certaine musique. 
                    La confusion règne, mais cette confusion tisse ses 
                    fils sur une rhétorique usée, qui s'essaye à 
                    conserver une apparence de cohérence et de rationalité. 
                    C'est un peu tout cela que j'ai voulu faire passer comme message 
                    en faisant cohabiter, d'une part la prétention à 
                    la communication et, d'autre part, l'incommunicabilité 
                    irréductible dans lesquelles les êtres humains 
                    sont plongés. 
                  PIERRE RESTANY- Je dois bien 
                    constater que c'est bien ce genre de "télescopage" 
                    que tu as exprimé par cette installation et tout le 
                    dispositif parallèle que tu a mis en œuvre. Je remarque 
                    son efficacité et une surenchère de l'expression 
                    par le "piratage" du "piratage". De ce point de vue le résultat 
                    de ton intervention est exemplaire. Les problèmes qui 
                    ont surgi en cours d'animation avec tes partenaires proviennent 
                    du fait que les spécialistes du discours politique 
                    n'ont pas admis l'idée objective de l'interférence 
                    et que finalement, ce qui aurait pu être une sorte de 
                    super dialogue si les politologues avaient été 
                    des artistes a été ressenti par eux comme une 
                    provocation outrageuse. Incapables d'établir la moindre 
                    distance vis-à-vis du circuit de la communication politique, 
                    ils se sont pris aux sérieux. C'est par "sérieux" 
                    que tu as démystifié et c'est en cela que ton 
                    opération, Conférence de Babel, a été 
                    une opération exemplaire : au-delà de toute 
                    prétention à assurer les normes d'un message, 
                    il arrive un moment où l'on retombe toujours dans le 
                    télescopage…Le fouillis naturel des langages : Babel 
                    ! Je ne doute pas que lorsque tes invités étaient 
                    installés en face des journalistes sur la tribune que 
                    tu avais réservée aux uns et aux autres, la 
                    situation devait évoquer le traditionnel internationalisme 
                    des congrès. Foules chaotiques et succession d'individus 
                    qui ne s'expriment qu'en pensant à eux. Accumulations 
                    de monologues qui ne sont absolument pas ouverts sur la spontanéité 
                    d'une communication libre. Mais, en revanche, ce qui donnait 
                    à l'opération son vrai relief, et ce qui n'était 
                    plus Babel à ce moment-là-là, c'était 
                    l'installation vidéo avec ses différents enregistrement 
                    qui rendait de façon frappante et immédiate 
                    le côté homogène, compact et cohérent 
                    du discours politique. Et cela quels que soit la langue, la 
                    situation et surtout le lieu (Parlements divers ou lieux publics) 
                    par lesquels ce genre de parole se trouve sacralisée, 
                    comme le peut être une œuvre d'art dans un musée. 
                    En dépit de ce contexte sacralisant, il faut bien reconnaître 
                    que du Japon à l'Amérique, en passant par l'Europe, 
                    le discours politique se définit par une certaine intensité 
                    de la voix, une componction et une relative mesure dans les 
                    . il est très facile de synchroniser ces prestations, 
                    ce genre de performances. Par contre les gens sur l'estrade 
                    qui participaient au commentaire actif d'un tel discours se 
                    comportaient à l'opposé des personnages politiques 
                    enregistrés sur les moniteurs. Personnages qui représentaient 
                    eux, en quelque sorte, la norme d'une sérénité 
                    routinière…Je considère cette Conférence 
                    de Babel comme une de tes manifestations la mieux réussie 
                    par la clarté de sa démonstration. La série 
                    d'enseignements qu'on en retire a posteriori jette une lumière 
                    particulière sur les multiples facettes du discours 
                    politique. Qu'est-ce que tu retires toi-même de cette 
                    action particulièrement riche en événements 
                    ? 
                  FRED FOREST-- Je vois maintenant 
                    cette action comme un objet derrière moi. J'en éprouve 
                    une certaine satisfaction pour un symbole que je pense avoir 
                    aidé à émerger par les circonstances 
                    que cette action a pleinement illustrées. Je pense 
                    avoir atteint mes objectifs, si j'ai réussi à 
                    interroger le discours politique sans complaisance, et ses 
                    auteurs. J'espère avec une certaine ironie et approche 
                    critique. Ce sont les véritables acteurs de la vue 
                    politique française qui ont été mis physiquement 
                    en "représentation" dans mon installation. Ils ont 
                    joué leur rôle et leur personnage, dans le cadre 
                    que je leur avais dûment assigné dans mon dispositif. 
                    Il en a été de même pour les journalistes, 
                    les sociologues, les critiques littéraires…que j'avais 
                    "convoqués" pour être partie intégrante 
                    de la Conférence de Babel. C'est un trait spécifique 
                    à la pratique de l'Art sociologique d'appliquer son 
                    observation critique sur les mécanismes et les acteurs 
                    de la société. Cela en utilisant de façon 
                    systématique les vecteurs et supports véritables 
                    de la communication sociale telle qu'elle se développe 
                    de nos jours. D'utiliser son système et les infrastructures 
                    de ses médias. Élargissant l'espace physique 
                    de la galerie à celui de l'espace de l'information. 
                    Cette installation artistique était aussi celle d'une 
                    "installation" d'informations, dans l'espace de l'information 
                    doublée d'une installation dans l'espace physique de 
                    la galerie Créatis. La Conférence de Babel aura 
                    été finalement une action de "détournement" 
                    de la parole émanant "pouvoir" politique et un sacré 
                    mélange des genres entre l'art, le politique et la 
                    communication. 
                  Après l'Ecole de Paris, 
                    l'Abstraction lyrique, et les urinoirs de Duchamp, en leurs 
                    temps, la galerie " Créatis " aura été 
                    le premier lieu de culture et d'art, qui aura eu l'audace 
                    d'exposer cette "chose", cette chose immatérielle et 
                    idéologique qui s'appelle le discours politique. 
                    
                    Pierre 
                    Restany intervenant dans l'espace de la Conférence 
                    de Babel, Paris 1983 
                   ^  |