|   http://www.webnetmuseum.org/html/fr/expo_retr_fredforest/actions/22_fr.htm#text 
                   10. 
                  1978- DU M2 ARTISTIQUE 
                    AU TERRITOIRE PAR PIERRE RESTANY 
                  Editions du Territoire, 
                    Anserville, 1978 
                  Passer du concept de m2 ARTISTIQUE 
                    au concept du TERRITOIRE du m2 ARTISTIQUE, ce n'est pas seulement 
                    opérer une extension dans l'espace, c'est-à-dire 
                    un développement quantitatif de la notion, c'est introduire 
                    une complexité considérable, en tout cas extrêmement 
                    significative dans ses éléments et ses paramètres. 
                    Quand FRED FOREST a défini le m2 ARTISTIQUE, il l'a 
                    défini dans l'abstrait à partir d'une volonté 
                    méthodologique, qui constituait sa participation à 
                    l'art sociologique. Comment à partir d'un concept abstrait, 
                    peut-on arriver à une notion tangible ? En jouant justement 
                    sur les possibilités de dimension, les possibilités 
                    de coloration que peut prendre le concept abstrait lorsqu'il 
                    est défini par rapport à des termes concrets. 
                    Le m2 ARTISTIQUE, c'était le m2 de la toile, donc, 
                    de l'objet d'art. C'était, en effet aussi, tout simplement, 
                    le "non-art" par rapport à cet art. À partir 
                    du moment où l'on jouait sur ce genre de coloration 
                    du concept au niveau abstrait, on a pu arriver à toute 
                    une méthodologie de l'action qui a été 
                    celle de FRED FOREST dans le m2 ARTISTIQUE. Passer du concept 
                    de m2 à celui de TERRITOIRE cela implique des servitudes 
                    de départ, qui sont réelles, concrètes, 
                    qui ne sont plus un jeu sur les mots, mais qui sont le passage 
                    d'une abstraction théorique et une pratique engagée. 
                    Je pense que c'est là que se situe véritablement 
                    la charnière de l'opération dans la logique 
                    de sa continuité. Le TERRITOIRE du m2 ARTISTIQUE implique 
                    l'insertion de ce concept de base dans un cadre extrêmement 
                    complexe ; celui de la vie à la surface de notre planète. 
                    La surface étant conçue comme le moyen terme, 
                    c'est-à-dire le niveau intermédiaire entre la 
                    vie souterraine, la vie en infrastructure et la vie en superstructure. 
                    À partir du moment où le territoire est conçu 
                    comme une occupation, comme un projet d'aménagement 
                    d'une réalité tangible, il évoque évidemment 
                    tous les problèmes que peut susciter ce genre de réalité. 
                    À la limite, on pourrait dire que le TERRITOIRE du 
                    m2 ARTISTIQUE se présente comme la volonté extrême 
                    d'une théorie et d'une mise en pratique d'aménagement 
                    du territoire. Il est certain que le "TERRITOIRE du m2 ARTISTIQUE" 
                    est un TERRITOIRE "spécial". Il a toutes les servitudes 
                    de n'importe quel territoire, mais il a, en plus, des "ambitions" 
                    et une finalité qui détermine toutes les autres, 
                    et devient, en quelque sorte, le lien commun à toutes 
                    les servitudes pratiques. D'abord, il faut trouver un territoire. 
                    Il faut l'organiser comme on organise une concession. Il faut, 
                    ensuite, le diviser en parcelles suffisamment flexibles pour 
                    qu'elles puissent trouver des acquéreurs. Il faut ensuite 
                    intéresser ces acquéreurs à la vie du 
                    territoire. Pour tout cela, il faut créer une administration, 
                    et cette administration doit organiser la vie sur le territoire, 
                    non seulement au niveau de l'aménagement physique, 
                    mais aussi de l'aménagement moral. Finalement, le TERRITOIRE 
                    du m2 ARTISTIQUE a acquis une réalité physique 
                    et, dès lors, il suit le destin de toutes les parcelles 
                    spécialisées. Nous avions parlé, à 
                    un moment, de "cimetière des vivants" et il est bien 
                    certain qu'il y a dans cette idée de concession à 
                    perpétuité une analogie frappante avec le TERRITOIRE, 
                    une analogie même très dynamique. Autre analogie, 
                    celle du "zoo". Par rapport à un jardin zoologique, 
                    le m2 ARTISTIQUE peut être considéré comme 
                    un jardin anthropologique. Quelle est la différence 
                    entre un jardin zoologique et un jardin anthropologique ? 
                    Le jardin anthropologique mobilise sur un espace volontairement 
                    réduit et sur lequel le propriétaire a tout 
                    pouvoir, toutes les motivations de l'individu à partir 
                    du moment où il joue le jeu, à partir du moment 
                    où il se sent concerné par ce genre d'occupation 
                    du territoire. Je pense que le m2 ARTISTIQUE est en même 
                    temps une sorte de pile, une sorte d'aimant mobilisateur des 
                    énergies dans le sens de la communication, dans le 
                    sens de la coopération, dans le sens de l'échange. 
                    Mais aussi dans le sens de l'auto-réalisation. Dans 
                    le sens de l'épanouissement individuel. C'est cette 
                    dimension qui est la plus spirituellement dynamisante et stimulante 
                    et c'est celle qui sera sans doute, la motivation principale 
                    de la participation du public. Celle sur laquelle il faut 
                    jouer de la façon la plus directe. Il est bien certain 
                    que, dans la mesure où chaque parcelle du territoire 
                    occupe un espace précis, est achetée et a une 
                    certaine valeur, elle crée un rapport, non seulement 
                    mercantile, mais aussi, un rapport d'intérêt 
                    intellectuel et affectif entre le concessionnaire et sa concession. 
                    on ne peut pas éviter ce genre de rapport sans parler 
                    de spéculation sur les terrains, car à ce niveau-là-là, 
                    la spéculation devient purement abstraite. On passe 
                    de la spéculation mercantile à la spéculation 
                    abstraite par la force des choses. Au-delà même 
                    du rapport concessionnaire/concession, il existe encore une 
                    marge et cette marge, c'est la liberté de l'occupant. 
                    Cette liberté de l'occupant se traduit par les possibilités 
                    les plus folles à envisager ; en ce sens, l'administration 
                    du territoire aura des responsabilités et des problèmes 
                    imprévisibles et à la limite peut-être, 
                    impossibles à résoudre. Il y a là aussi, 
                    dans ce projet de territoire dont les bases de départ 
                    sont très rigoureuses et tangibles, une évasion 
                    vers l'inconnu. L'administration du territoire est une administration 
                    de gestion, mais si elle peut, à la rigueur, quand 
                    il le faut, dynamiser la vie du territoire, elle ne peut en 
                    bloquer, censurer ou intervenir sur les initiatives spontanées 
                    de la part des concessionnaires des différentes parcelles. 
                    Voilà l'ouverture vers l'imprévu, vers la spontanéité, 
                    vers la poésie de la vie des êtres en commun, 
                    ou simplement de la vie des êtres tout court. Deux dimensions 
                    coexistent dans cette idée du TERRITOIRE du m2 ARTISTIQUE 
                    : à la fois une dimension de "contraction" qui est 
                    celle de la concession géométrique le m2 ou 
                    les multiples du m2 et une dimension "d'expansion". Dimension 
                    de la plénitude, du degré optimum de liberté 
                    que l'on peut exercer sur un aussi petit territoire, phénomène 
                    qui peut être considéré comme un phénomène 
                    respiratoire, c'est-à-dire comme un phénomène 
                    d'inhalation et d'exhalaison. C'est l'image même de 
                    la vie qui est reflétée dans une certaine mesure 
                    par le miroir d'un musée d'anthropologie. Plus j'y 
                    réfléchis, plus je pense que la vie est un cycle. 
                    Nous avons parfois peur des mots et c'est pour cela que nous 
                    hésitons à employer vis-à-vis d'un tel 
                    système de concession, de gestion et d'administration 
                    le terme de cimetière. C'est pourtant bien ce qu'évoque 
                    ce genre de structure, mais c'est, en même temps, l'expression 
                    la plus évidente d'une revanche de la vie sur la mort. 
                    Ce qui pourrait paraître au départ comme la structure 
                    cadastrale d'un cimetière, finit par s'épanouir 
                    dans un jardin vivant. Le jardin vivant, c'est justement notre 
                    jardin anthropologique. C'est un jardin d'anthropologie dans 
                    la mesure même où les hommes qui entrent dans 
                    ce zoo, y entrent volontairement et non parce qu'ils y sont 
                    forcés ou capturés comme des singes. Ils y entrent 
                    parce qu'ils veulent réfléchir sur leur propre 
                    condition d'homme. C'est en quelque sorte, un jardin de méditation 
                    au niveau de l'anthropologie moderne, une méditation 
                    libérée des rites philosophiques qui généralement 
                    l'accompagnent. Tout le monde est libre de voir dans le mètre 
                    carré artistique l'espace Zen d'une méditation 
                    sur le territoire. Ce panorama discursif sur le territoire 
                    est loin d'être exhaustif, mais il est suffisamment 
                    large dans ses ouvertures pour nous faire comprendre combien 
                    et comment avec cet impact, au-delà du concept artistique 
                    et philosophique qui a été l'objet de la démarche 
                    sociologique de FRED FOREST au départ, nous entrons 
                    désormais dans le vif du sujet : la réalité 
                    même du tissu humain collé à la surface 
                    de la terre. Cette rencontre avec le réel s'identifie 
                    au retour de l'humain à la terre. Le grand enjeu de 
                    l'opération m2 ARTISTIQUE réside dans cette 
                    occupation du territoire sur le plan humain. Plus encore que 
                    l'aménagement du territoire, il s'agit de créer 
                    au niveau du m2 artistique, une occupation humaine, une occupation 
                    affective, spirituelle, et je crois que toutes les données 
                    sont intégrées et présentes dans le projet 
                    de FRED FOREST. Nous avons avec lui, la possibilité 
                    de tenter une grande aventure. Une aventure humaine à 
                    partir de bases tangibles, d'autant plus tangibles, qu'elles 
                    sont à la portée de nos mains, à notre 
                    mesure ; il s'agit d'un m2 ARTISTIQUE, et, un m2 reste toujours 
                    un m2, même s'il est multiplié par deux ou par 
                    vingt, c'est-à-dire un espace et une unité de 
                    mesure à l'immédiate portée de l'homme. 
                    Je pense que la référence à ce rapport 
                    de proportions en conclusion de mon discours, ne correspond 
                    pas à une réserve ou a un rétrécissement 
                    de ma pensée, mais exprime au contraire un cri d'espoir. 
                    C'est dans la mesure où le m2 ARTISTIQUE est lié 
                    à sa dimension humaine et aux motivations réflexes 
                    correspondantes de possession, d'appropriation, de compréhension, 
                    que l'opération-territoire a un sens, une vie et un 
                    futur.  
                    
                  Pierre Restany 1978 
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