http://www.webnetmuseum.org/html/fr/expo_retr_fredforest/actions/23_fr.htm#text 
                  12.
                  1982- 
                    BOURSE DE L'IMAGINAIRE ESSENCE DU MONDE PAR PIERRE RESTANY 
                  (Préface, 
                    Exposition personnelle, catalogue, Centre Georges Pompidou, 
                    Paris, juin 1982) 
                  Cette "  Bourse de 
                    l’imaginaire " c’est sans doute le projet le plus 
                    ambitieux qu’ait jamais réalisé Fred Forest 
                    dont la carrière est pourtant riche en effets chocs 
                    et en exploits spectaculaires (le m2 artistique, l’Hôtel 
                    Crillon, la Grande Marche de Sao Paulo, la Biennale de l’an 
                    2000 etc.) C’est un projet ambitieux dans la mesure où 
                    il joue à fond à la fois sur la dimension artistique 
                    et sur la dimension sociologique. Qu’est-ce que c’est que 
                    la Bourse de l’imaginaire ? C’est le déploiement dans 
                    le grand foyer du Centre Georges Pompidou d’un système 
                    de stockage et d’échange de l’information à 
                    partir d’un élément de base : le fait divers, 
                    et à travers toute une structure d’animation destinée 
                    à stimuler et à activer le courant de communication. 
                    Le point de départ c’est l’annonce dans la presse écrite, 
                    parlée, audiovisuelle : " Vous avez votre 
                    fait divers ? Communiquez-le ! Écrivez ou téléphonez 
                    au Centre Georges Pompidou... " À partir 
                    de là se développe l’entier traitement de l’information. 
                    Un staff d’attachés de presse enregistre le courrier 
                    sur place à Beaubourg, procède à l’échange 
                    des nouvelles, choisi avec le public le fait divers du jour, 
                    le diffuse par affichage et photocopie. Un spécialiste 
                    du traitement de l’information vient faire le point quotidien. 
                    En parallèle, l’annonce initiale est exploitée 
                    selon la spécificité du support : un quotidien 
                    organise un concours de fait divers, une station de radio 
                    propose un radio crochet, une chaîne de télévision 
                    procède à une enquête etc. Sur place comme 
                    au niveau de l’ensemble du territoire national à travers 
                    les médias, le public est ainsi appelé à 
                    participer à une bourse du fait divers. Alors pourquoi 
                    " Bourse de l’imaginaire " ? Ce à quoi 
                    tend Fred Forest en dégageant ainsi le fait divers 
                    de la culture du quotidien c’est d’atteindre la " mana ", 
                    le surplus signifiant selon Lévi-Strauss, à 
                    l’état latent dans l’imaginaire collectif. Ce surplus 
                    signifiant de l’imaginaire collectif c‘est précisément 
                    et esprit de la communication et cette qualité personnalisée 
                    de l’échange que les mass media ne transmettent pas 
                    du fait même de leur rationalisation et de leur spécificité ; 
                    et qu’ils réduisent, de ce fait, à l’état 
                    de scorie inerte du processus de communication. 
                  À Beaubourg, tout est 
                    préparé pour conditionner le public à 
                    l’échange de l’information à donner et à 
                    recevoir la nouvelle ainsi " objectivée ", 
                    computérisée, retransmis par des moniteurs T.V 
                    en circuit fermé. Un double circuit, manuel et télémécanique 
                    se développe en étroite connection. Le spectateur-acteur 
                    de l’échange peut venir remettre personnellement son 
                    fait divers au bureau de presse, il peut l’expédier 
                    par poste, le communiquer par les médias ou par télex. 
                    Il peut en prendre connaissance visuellement par l’affichage 
                    ou la photocopie en consultant les terminaux des computers 
                    ou des moniteurs T.V. Il peut enfin participer directement 
                    sur place au choix du fait divers du jour et pratiquer l’échange 
                    immédiat des nouvelles, comme il peut le faire à 
                    travers les initiatives des journaux, de la radio, de la télévision. 
                  L’animation à Beaubourg 
                    revêt, de plus, l’allure d’un happening collectif, d’une 
                    installation et d’une performance dont la finalité 
                    est de créer la psychose active d’une solidarité, 
                    le sentiment d’une complicité profonde dans l’imaginaire 
                    quotidien, un supplément d’âme dans la communication. 
                    Élément de base de l’opération, le fait 
                    divers se prête bien à cette alchimie de la pensée, 
                    à ce transfert réciproque de fantasmes individuels 
                    sur la fantaisie collective vice-versa. Le fait divers est 
                    diversif dans la mesure où il émargine un point 
                    réel en le magnifiant dans l’espace-temps d’une action. 
                    Le fait est là, tellement là, que tout le reste 
                    devient divers. Et c’est la poésie latente de ce "  
                    divers-là " que Fred Forest ambitionne de 
                    révéler dans la mécanicité même 
                    du processus de l’échange. 
                  Ce type de potlatch moderne 
                    passionnera à juste titre les anthropologues de tout 
                    poil. Ce retour aux propos les plus élémentaires 
                    de la communication et de l’échange à travers 
                    les technologies les plus sophistiquées de l’information, 
                    voilà l’apparent paradoxe, mais aussi la vraie poésie 
                    et le juste pari de Fred Forest, qui se montre là aussi 
                    passionnément artiste que rationnellement sociologue. 
                    Le sujet et l’objet de ce pari s’équivalent. L’enjeu 
                    en vaut la peine : c’est celui d’un jeu culturel qui est l’essence 
                    même du monde, notre monde. 
                  Pierre Restany, avril 1982 
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