| FRED 
                    FOREST OU UN ARTISTE DE LA REFLEXION > 
                    Evelyne Rogue (mai 2003) :Philosophe, Chercheur associé au CPAAC, France
 " Le peu que je sais, c'est à mon ignorance que 
                    je le dois (1)".
   
                    " Pape des réseaux " comme certains se plaisent 
                    à le qualifier, cet artiste, unique en son genre, fondateur 
                    de lart sociologique avec Hervé Fisher et Jean-Paul 
                    Thénot en 1973, co-auteur de quatre manifestes jusquen 
                    1977, persiste et signe un peu plus de dix ans plus tard le 
                    " Manifeste pour une esthétique de la communication 
                    ". Ne renonçant en rien aux lignes directrices 
                    qui étaient déjà celles de lart 
                    sociologique, il conceptualise une démarche qui est 
                    la sienne depuis déjà quelque dizaines dannées. 
                    Si lart sociologique se voulait dès ses origines 
                    " une pratique active de questionnement critique " 
                    (2) visant déjà à " susciter les 
                    prises de conscience désaliénantes " (3), 
                    il semble prendre une dimension nouvelle lorsque son auteur 
                    après avoir rappeler que " différentes 
                    étapes ont été franchies, nous faisant 
                    passer successivement de lesthétique de limage 
                    à lesthétique de lobjet, puis à 
                    lesthétique du geste et de lévénement 
                    (happening) " (4) définit le rôle de lartiste, 
                    comme ne consistant en rien dautre, mais rien de moins 
                    non plus, que de donner " à sentir ce que les 
                    autres, dans le même moment, ne perçoivent pas 
                    encore. [Dès lors, on pressent déjà que] 
                    lartiste de la communication va tenter de traduire la 
                    nouvelle réalité (5) du monde dans un langage 
                    transposé dont il établira les codes " 
                    (6) Or, cest bien de réalité dont nous 
                    parle Fred Forest ; une prise de conscience de la réalité 
                    à laquelle il appelle de tous ces vux les spectateurs 
                    de ses installations, de ses interventions, de ces dispositifs 
                    de presse, de ses actions multimédias, de ses événements 
                    aussi.  * * *
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 Prendre conscience de son ignorance, tel est bien le premier 
                    pas vers la connaissance, mais pour être en mesure daccomplir 
                    ce premier pas, encore faut-il savoir que lon ignore. 
                    En effet, si dune part on ignore que lon ignore, 
                    il ny a aucune raison de chercher à savoir ce 
                    que lon ignore. Ignorant que lon ignore, on croit 
                    savoir. Et même si on trouvait par hasard les choses 
                    que lon ignore, on ne saurait les reconnaître 
                    car, justement, on les ignore. De plus, au sujet des choses 
                    que lon sait, on ne les cherchera pas non plus, puisquon 
                    les sait. " Sans l'ignorance, point de questions. Sans 
                    questions, point de connaissance, car la réponse suppose 
                    la demande. Celui qui sait tout ne sait rien, 
                    car l'acte du savoir ne se produit pas en lui ; il manque 
                    d'une condition essentielle. Celui-là n'agit pas qui 
                    ne manque point de quelque chose " (40). Autrement dit, 
                    on pourrait se demander sil ny a pas une sorte 
                    de savoir qui sapparente à une ignorance que 
                    lon sait dune part, et un savoir qui se distingue 
                    radicalement dune ignorance en tant quelle signore 
                    dautre part. Le savoir passe en effet par la prise de 
                    conscience de lignorance, doù dérive 
                    une nécessaire humilité de la part de tout individu 
                    face à lui-même, aux autres et au monde. Lhomme 
                    nest pas la mesure de toutes choses. Si une chose est 
                    indéfinissable, on ne peut rien en dire et sans doute 
                    nous faut-il garder le silence à son sujet (41). Il 
                    est pourtant des silences éloquents, des silences qui 
                    hurlent, des silences criants de vérité ; tandis 
                    que certains hurlements demeurent irrémédiablement 
                    muets. Interrogeons-nous donc sur le fait de savoir si lignorance 
                    ne peut pas se donner à interpréter en tant 
                    que savoir qui signore et le savoir en tant quignorance 
                    qui se sait. Interrogation sans cesse renouvelée par 
                    Fred Forest, car mieux que quiconque il sait que la fonction 
                    de penser ne se délègue point, et encore moins 
                    celle de penser le sens de son existence. Il invite les spectateurs 
                    de ses actions à passer du " Réel " 
                    à la " Réalité ", à 
                    penser aussi, mais à faire un usage personnel de la 
                    pensée, car lartiste nest pas un donneur 
                    de leçons. Il invite, seulement, presque humblement, 
                    à chacune de ses installations, de ses interventions, 
                    de ces dispositifs de presse, de ses actions quiconque le 
                    veut bien, à le suivre sur le chemin de la réflexion.
 Evelyne 
                    Rogue  ^ |